Dans un monde idéal, tout en haut de la montagne, les champignons se trouvent et se cuisent tout seuls.

Pas besoin de les préparer, suffit de les cueillir et de les manger.

Dans un monde idéal, tout en haut de la montagne, il fait toujours beau et chaud.

Dans l’idéal, on ne part pas à la montagne à l’improviste, on emporte de quoi faire face à la nature encore vierge. La nature, elle, n’a rien préparé pour éviter son viol. À croire qu’elle aime ça.





 

Donc : direction le marchand d’accessoires sportifs en tous genres.

Histoire de se payer une bonne grosse survie dans les dénivelés ronds et inhabités de l’Auvergne profonde !

 

C’est comme une immense épicerie où sont vendus - triés - des bicyclettes de compétition, des paniers de basket, des ballons de foot, des clubs de golf, des chaussettes de tennis, des slips de curling et des tentes de toutes tailles, à la grande différence qu’une masse considérable d’ennuyés chroniques campe littéralement dans ce genre de magasin afin d’user et d’abuser des jeux divers et variés mis à disposition du grand public afin de faire un essai avant d’avoir à se décider d’acheter ce magnifique ballon de football dédicacé sur un coup de tête. Ils vont, viennent, courent, batifolent, chutent, se relèvent, recommencent ; sans se soucier de ce qui peut se trouver devant, sous, sur ou entre les chaussures plus tellement neuves qui se font violemment essayer depuis une bonne demi-heure. 

On les vire à l’heure de la fermeture, mais on sait pertinemment qu’il reviendront demain dès l’aube pour terminer ce fameux tournoi de ping-pong commencé dans la matinée. Ces gens n’achètent le matériel qu’une fois détruit et/ou invendablement usé, lequel ne passera ni par la case « avez-vous la carte de fidélité ? », ni par la case « comment diable vais-je caser tout ça dans le coffre de la pauvre Clio de ma femme ? » ce qui est rudement pratique pour le magasin. (Il fallait bien que quelqu’un le dise.)

L’idéal, ce serait de venir prendre ce dont on a besoin pour randonner, de payer ce qu’il faut pour randonner, de partir randonner, de ne pas hésiter entre le pantalon marron clair ou marron foncé, ne pas cogiter inconsidérément sur la taille de la lampe à dynamo, celle qui est à la maison, quand la carte de fidélité demande si vous avez vu la caissière.

Toujours est-il que la réalité depuis un moment a pris tellement de distance avec l’idéal que rien de tel pour recoller les morceaux qu’une randonnée qui va bien.





 

La randonnée c’est l’idéal : ça n’a pas d’autre but que de marcher devant soi. 

Quand on part en randonnée on ne part pas quelque part. On part. C’est l’idéal parce qu’on est seul sous les arbres majestueux mais sur le tapis de feuilles et de branches toutes aussi mortes les unes que les autres : pile entre les deux en fait. Les arbres nous écrasent, écrasons leurs feuilles.

Quand la moindre loi est abolie par la solitude du voyage, quand la civilisation pétaradante a un écho frissonnant qui remonte l’échine de la vallée, parcours la moindre courbe de la Terre pour rappeler à une oreille qu’elle est juste à côté, l’idéal aussi est juste à coté.





 

Dans un monde idéal, la randonnée serait permanente, sans retour social. 

On se perdrait totalement dans les montagnes (ou les volcans, mais qu’est-ce que ça peut bien foutre ?) de l’Auvergne profonde.

 

Dans un monde idéal, tout en haut de la montagne, on n’est ni mort de faim, ni tenté de manger les champignons crus sans prendre la peine de les arracher, ni mort de froid, ni tenté de creuser un terrier dans la terre chauffée toute la sainte journée par le soleil pour espérer au moins tenir cette nuit.

 

Dans un monde idéal, tout en haut de la montagne, mon téléphone, il a toujours du réseau.